Les 12 conseils de Kammco pour réussir son scale-up

Extrait de l’article de Marie d’ Otreppe, paru dans le Trends Guide Start-up 2019

Conseil n°1 – Sécurisez votre trésorerie et vos sources de financement suffisamment en amont

« Le scale, c’est une envolée du chiffre d’affaires qui nécessite de s’organiser autrement, notamment en repensant le financement », explique Karin Maquet.

Tout d’abord, prenez garde à votre trésorerie : un chiffre d’affaires qui s’envole avec une marge qui ne suit pas, c’est dangereux, cela veut dire que vous creusez dans votre trésorerie. Les banques sont les premières interlocutrices mais pas seulement : c’est le moment de penser à obtenir le soutien des institutions publiques et/ou des fonds privés.

« Parfois, c’est votre trésorerie qui est fragilisée et qui vous force à aller trouver des fonds. Mais faites attention à ne pas vous retrouver dans une logique de sauvetage! Souvent, les problèmes de trésorerie cachent des problèmes de rentabilité en baisse. Lever de fonds extérieurs quand la trésorerie est en souffrance est préjudiciable car les investisseurs peuvent s’en servir pour diminuer la valorisation de la société, sentant votre urgence à trouver une solution.

Ne cherchez pas à lever des fonds trop tôt, créez de de la valeur d’abord, démontrez l’attractivité de ce que vous offrez sur le marché avant d’aller chercher des fonds pour éviter de vous diluer en tant qu’actionnaires fondateurs.

Les processus de levée de fonds prennent du temps – 6 à 9 mois. Ils sont souvent un mélange d’opportunisme, d’écoute du marché et de réactivité. Pour anticiper au mieux ce virage, mettez en place une sorte de conseil des sages dès le début; pas spécialement un conseil d’administration mais une sorte de caisse de résonance de personnes expérimentées qui conseille l’équipe fondatrice et qui permet de prendre du recul.

Conseil n°2 – Pensez aux aides publiques

Les aides sont nombreuses en Belgique, mais encore trop méconnues. « Il y a une hétérogénéité de connaissance des instruments publics entre les secteurs. Cela a pour conséquence que de nombreux entrepreneurs actifs dans des société en croissance ne savent pas qu’ils peuvent y avoir accès. De nombreux entrepreneurs que je rencontre ne se sentent pas concernés par les success stories de levées de fonds dont on parle beaucoup, notamment en technologie alors qu’ils sont dans les mêmes conditions dans leur secteur et dans leur expertise pour y avoir accès. Prenez le temps de vous renseigner ou mandatez le profil financier de l’équipe pour qu’il soit au fait des aides qui existent et se développent, prévient la consultante.

Conseil n°3 – Diversifiez votre portefeuille de clients dès que possible

Une croissance basée principalement sur un client, c’est dangereux. « Dans les faits, en B2B en Belgique, c’est souvent le cas ; on est souvent sous-traitant d’une autre entreprise plus grande qui vient nous chercher pour notre expertise, notre agilité et notre flexibilité, constate Karin Maquet. Si plus de 30 % de votre chiffre d’affaires dépend d’un client, vous êtes à risque. Certes sa croissance entraîne la vôtre mais en cas de changement de cap de sa part, vous serez vite en difficulté.»

Renouvelez vos clients, allez en chercher des nouveaux, explorez d’autres marchés! Pensez à diversifier vos canaux de distribution, notamment sur l’international.  Vu la taille de notre beau pays, c’est souvent inévitable de traverser les frontières pour grandir. Mais n’ambitionnez pas pour autant de viser les States tout de suite. Commencer par viser l’Europe a souvent plus de sens – même devise, mêmes lois, cultures comparables, réseau de contacts existant, etc.-. Si vous visez plus loin, essayez de vous adosser à une autre entreprise pour commencer. Un bon partenaire de distribution est souvent le passage obligé pour aller chercher de nouveaux marchés rapidement sans prendre tout le risque.

Conseil n°4 – Soyez conscients du temps nécessaire pour faire bien les choses

Réorganiser une équipe commerciale, adapter son pricing, engager des équipes, tout cela prend du temps… « Ce n’est pas parce que vous prenez une décision aujourd’hui qu’elle sera exécutée demain. Ce n’est pas parce que vous  décidez d’engager un directeur financier qu’il sera là demain. Ce n’est pas parce que vous décidez de lever des fonds aujourd’hui qu’ils seront là demain», énumère Karin Maquet. La vitesse de décision est une chose, la vitesse d’exécution en est une autre. Les entrepreneurs optimistes – et il faut l’être pour se lancer comme entrepreneur – ont tendance à sous-estimer le temps qu’il faut pour bien faire les choses, surtout si on veut qu’elles soient en mesure de soutenir la cadence de la croissance.

Conseil n°5 – Réfléchissez aux profils clés de l’équipe de demain dès le départ

Les premiers recrutements sont cruciaux pour un passage en scale-up harmonieux.

En effet, quand on se lance, qu’on est en mode start-up, si on rencontre un problème, on va le confier à celui qui est prêt à le régler et chacun va passer d’un sujet à l’autre sans répartition claire des rôles et des responsabilités, sauf peut-être le profil financier et le fondateur.

En pleine croissance, une telle organisation a du mal à tenir la route car les problèmes s’accumulent, le nombre de clients grandit, les enjeux augmentent. La question du mix de compétences et d’expériences se pose très vite. Former des bonnes équipes et les maintenir motivées est un des défis permanents du scale up, reconnaît Karin Maquet.

Je déconseille souvent aux entreprises d’engager des personnes trop jeunes comme premiers employés. Même si le salaire est plus bas, le temps passé à les former et à les rendre autonome est souvent négligé. Adopter dès le début un équilibre entre compétences et expériences permet d’attirer les bons talents, de créer un esprit d’équipe et de construire une culture unique. Ce sont les premiers à rejoindre le bateau qui vont imprimer l’ADN de la société. Certains font le choix d’engager des profils très qualifiés dès le départ pour que, le moment venu, ils puissent libérer leur potentiel. C’est aussi une option très fréquente, surtout dans le secteur technologique. Si c’est un choix, cela doit être un choix conscient car il faudra nourrir ses talents en challenges notamment intellectuels.

Conseil n°6 – Intégrez harmonieusement des personnes plus expérimentées

Il arrive souvent que le passage en scale up implique l’intégration de personnes plus expérimentées dans l’équipe fondatrice. Ces personnes vont petit à petit prendre en mains la supervision d’équipes plus jeunes et prendre le relais du/de la CEO pour des tâches de management. « C’est parfois compliqué d’intégrer quelqu’un qui vient d’ailleurs, qui apporte son expérience dans une équipe, qui a sa vision du management et qui est habitué à d’autres manières de travailler ». Le choc entre l’esprit start up « on est une famille, on est agiles » et la vision de la scale up « faut s’organiser, répartir les rôles et responsabilités » fait parfois mal.

Indépendamment de la question de compatibilité humaine, de culture d’entreprise, la question de la politique de rémunération apparaît en phase de scale up. Il faut souvent mettre en place un processus plus cohérent, plus transparent, plus attractif pour attire les nouveaux talents et garder ceux qui ont permis à la start up d’arriver au stade de croissance.

Conseil n°7 – Ne tardez pas à vous doter d’une structure opérationnelle efficace

Au-delà de cinq à sept direct reports, un manager, aussi efficace soit-il, a plus de difficulté à gérer les priorités pour chacun, estime la business angel. Et vice-versa : ce qui remonte de ces cinq à sept direct reports, aussi structuré soit-il, devient vite trop important pour que le manager puisse tout intégrer adéquatement. La faculté à décider, à agir ensemble s’en trouve affectée. Sans compter le stress qui monte car on a l’impression de passer d’un sujet à l’autre sans avancer.

En d’autres mots, quand vous avez deux personnes qui ont lancé une start-up ensemble et que le nombre d’employés atteint la quinzaine, il est souvent nécessaire de penser en terme de structure organisationnelle : qui fait quoi, qui décide pour quoi, qu’est-ce qui est core et non core.

« Je constate qu’un ratio se généralise dans presque tous les secteurs : à partir de 15-20 personnes, les compétences liées au coeur de métier ne suffisent plus et il faut une structure opérationnelle qui vient soutenir le cœur de métier : finances, légal, marketing, ressources humaines, bureau, etc.

Conseil n°8 – Concevez la gouvernance de votre société comme la surveillance de l’horizon depuis une colline

« Trois niveaux de gouvernance sont nécessaires au maintien d’une vision de croissance. Ils sont essentiels et complémentaires. L’actionnaire a une vision à long terme (environ trois ans), le conseil d’administration a une vision à moyen terme (un an) et l’équipe de management a une vision à court terme (trois à six mois, un an maximum). Il s’agit de 3 niveaux d’altitude bien nécessaires pour monter sur la colline et observer l’horizon : la vision panoramique au sommet, la vision intermédiaire et la vision de ce qui se passe au pied de la montagne. Idéalement, le CEO doit apprendre à passer d’un niveau à l’autre en n’oubliant pas de redescendre au pied de la montagne, prévient Karin Maquet. C’est la capacité de remonter sur la colline ou de descendre qui pérennise la croissance»

Conseil n°9 – Considérez d’autres pistes de croissance que la croissance purement organique

Le scale par croissance organique comporte beaucoup de risques, prend du temps et fatigue souvent les équipes en place. Considérer l’accélération par acquisition est souvent une stratégie gagnante. «Si vous rachetez votre concurrent ou un de vos sous-traitants, indépendamment des questions financières et opérationnelles, faites attention à la compatibilité des cultures d’entreprises. Beaucoup de rapprochements capotent par déni d’incompatibilité des cultures en place. »

Conseil n°10 – Prenez soin du CEO

« J’ai lu récemment que, ces 10 dernières années, dans les fast growing tech start-ups, la durée moyenne de vie d’un CEO était de 18 mois… En effet, de plus en plus de boîtes changent de CEO quand elles se trouvent dans une phase de scale accéléré. Or, les plans qu’on fait sont souvent à trois ans, un business model est à reconsidérer dans les trois à cinq ans, les budgets sont annuels, etc. C’est affolant que la durée de vie d’un CEO soit inférieure à tous ces cycles sur lesquels on se base pour prendre des décisions!

Je ne suis pas en faveur d’entrer dans cette espèce de schizophrénie, justifie Karin Maquet. Investir dans une société dans laquelle on croit en se disant que dans deux ans le CEO sera out, alors qu’il est le fondateur, c’est une pratique que je vois arriver chez nous et que je trouve dommageable.

C’est, selon moi, la responsabilité du Conseil d’administration de prendre garde à ce genre de dérive et à veiller à entourer le CEO d’une équipe de management équilibrée qui viendra combler ses faiblesses et le soutenir.»

Conseil n°11 – N’ oubliez pas de regarder par la fenêtre

Tant qu’on est en mode start-up, on maintient souvent une bonne connaissance de la concurrence. « Mais quand on grandit, une erreur classique est de ne pas faire attention à ce qui se passe ailleurs… On ne voit pas arriver le danger de l’extérieur, prévient Karin Maquet. L’exemple le plus triste, c’est Take Eat Easy. Ils sont passés en mode scale, ont levé des fonds étrangers, donc les exigences ont augmenté, on leur a demandé d’accélérer leur croissance, etc. Or Deliveroo était déjà là…». Heureusement pour les fondateurs de Take Eat Easy, ils ont vite rebondi pour lancer une nouvelle société en plein développement.

Penser que le risque principal est dans la gestion de votre croissance est une erreur; n’oubliez pas de surveiller votre concurrence, les évolutions réglementaires, les développements technologiques qui changent la donne… Sortir la tête du guidon, remonter sur la colline et regarder l’horizon.

Conseil n°12 – Méfiez-vous du « tout à l’innovation »

Faut-il, lors du passage en mode scale-up, rester entrepreneur et innovant?

Pour Karin Maquet, il faut rester entrepreneur, oui, mais surtout rester curieux. Le tout à l’innovation, à l’entrepreneuriat, il faut s’en méfier. En plus, la quête de l’innovation permanente coûte cher. Se dire: “est-ce que quelqu’un n’y a pas pensé avant moi” est un réflexe salutaire, surtout en scale up. Et cela n’empêche pas de maintenir de la curiosité.

« Dans le monde des start ups, on croit trop vite qu’il faut inventer quelque chose de nouveau tout le temps. On en vient parfois à réinventer la roue. Et pourtant, n’y a-t-il pas dans ce qu’on a créé dans le passé, les sources de génération de valeur du futur, dans les vieux métiers, les packaging différents, … ?

L’innovation, c’est de la créativité organisée; c’est ouvrir les yeux sur ce qui peut combler un besoin et générer de la valeur. Par ailleurs, je pense qu’il est sain de se demander si le risque qu’on prend en allant explorer un nouveau marché ou en développant un nouveau produit n’est pas trop grand par rapport à simplement faire fructifier ce qu’on a déjà accompli et maintenir le marché qu’on possède déjà. »

Et pour conclure

Savourez chaque palier franchi en levant le pied le temps de la réflexion

« Cela vaut la peine de prendre le temps de se poser régulièrement. Maintenir une croissance à deux chiffres pendant 10 ans n’est pas possible. Prenez le temps de tirer les leçons de la croissance. Et surtout, soyez attentifs aux signes d’essoufflement voire d’épuisement des gens. Ce temps de pause, c’est le niveau de gouvernance le plus élevé qui doit l’instiller et le rendre systématique dans chaque équipe de l’entreprise.» Car une croissance non raisonnée n’est pas tenable.

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